Rachel M. Cholz
L’algorithme est carnivore. Il avale le corps pour lequel il travaille. Il mange en se déployant dans le réseau. Son flux exploite en permanence ce qu’il digère. Il crée des appuis historiques. L’histoire démontre que l’histoire n’existe pas. L’histoire démontre qu’on a fait de l’histoire la trace qu’on a bien voulu lui céder.
Sa normalité c’est l’absence de corps qui se juxtaposent. Du corps au code. Le corps, devient le désordre quand le code est parfait. Le code infecte ce qu’il trace. Resserrer le corps, pour affirmer le code. L’algorithme est un avaleur de nuance. Il la mange par graduation la nuance. Mais l’algorithme aime les sédiments. Les Feel data de tout le monde dans le gros Big data de personne. Le corps c’est la nuance entre le geste et le langage. Enlever le corps, c’est recentrer le geste sur le code qui rassemble. Le langage se ressert autour des codes. Le flux se resserre et crée des balises. Le mot se soustrait à une forme d’évidence. L’algorithme est exponentiel et insatiable, il se resserre rarement sur lui-même, juste quand il en a envie. Transparent et pourtant encerclant. Il grandit en même temps qu’il détourne le langage, resserre les définitions comme il accroit la peur de l’autre. L’espace corporel et nos circulations se resserrent comme nos définitions et répète les mêmes
gestes. Les gestes tournent autour du Big data, qui contrôle notre Feel data qui nous recentre sur nos propres chiffres. Notre propre poids. Notre propre taux. Notre propre trace. L’individu classifie son propre langage pour être archivé par l’algorithme. L’algorithme ne tourne jamais en rond mais triangule.
L’homme mange l’algorithme et digère du stigmate. Parfois le stigmate colle au palais, et ressort par une langue: stigmatisante.
Il ne suffit pas de se complaire dans une circulation en boucle. Quand l’homme boucle, l’algorithme boucle mais autour de la terre. Il développe sa circulation à une vitesse solaire quand nous diminuons nos espaces en cercles solitaires. L’algorithme aime diminuer ce qu’il contourne, aux yeux des contournés. Il transforme l’échelle de notre monde en bille pixellisée. L’algorithme peut avaler le flux des synonymes, absorber, accepter, apprendre, aspirer, boire, bouffer, boulotter, croire, déglutir, descendre, dévorer, digérer, encaisser, engloutir, engouffrer, entonner, escamoter, friper, gober, humer, ingérer, ingurgiter, inhaler, inspirer, manger, prendre, recevoir, rentrer, résorber, retenir, s’enfiler, tolérer, tortiller, se tortiller dans le réel de nos Feel data. L’algorithme est très curieux. Il mesure des phénomènes, détecte des tendances, s’insère dans les mijotages de pâtes et de tsunamis. Toutes les gravités le concernent. Car il gravite à toutes les échelles. Il s’ouvre à tout problème: on s’en empare, il nous séduit. Il agite les mandibules, inspire, stocke le long de son thorax l’information dans ses stigmates, crache l’information par le pseudopode. Le pseudopode chie dans nos pseudonymes de nouveaux stigmates et aide le Big data à respirer comme une larve. L’algorithme ne connaît pas les points, juste une fine ligne sans espaces. Un flux sans trous d’air. Une atmosphère sans erreurs. Sans accidents. L’accident, c’est la force du corps. Car l’intuition, c’est quelque chose. Comment rattraper notre corps et rattraper la part accidentelle de nos jouissances?
Quand le droit d’être dans cette perdition sans fiction est interdit. Alors viendra peut-être le moment où la fiction sera interdite. Aussi visible que le rétrécissement de nos déplacements.
Le théâtre se répète mais modifie ses fulgurances en se nourrissant de la veille. Il interagit par répétitions mais compte sur ses meilleurs jours. L’algorithme prend de l’avance et négocie notre lendemain. Où nous sommes, nous détériorons notre plat du jour.
Viendra le moment où le corps devra céder à son incontinence? Ou il n’aura juste plus à manger pour ne plus avoir à l’être? Alors que l’algorithme mange mange mange, et personne ne le questionne. Si libre, lui d’être à l’extérieur et à l’intérieur des corps. Si libre d’être. Si libre d’être. Si libre
À l’attention de l’école des maîtres
4