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EXTRAIT

 

 

 

L’état des lieux numéro 2:
Sur le plateau: la danseuse. Des jambes, bleues comme le saphir. L’état des lieux numéro 1 a quant à lui un pantalon vert qui n’est pas sans rappeler l’émeraude. L’état des lieux numéro 1 cherche méticuleusement à mesurer les espaces du plateau.
La danseuse, elle, investit l’espace d’une toute autre façon.
Non pas que ses bras soient comme des mètres.
Mais elle saisit l’espace. Elle est une figure de mouvements saccadés,
arrondis.


L’état des lieux, lui, cherche.
Il mesure.
Peut-être prépare-il le sol pour accueillir des piliers?
Peut-être cherche-il à creuser le plateau, pour créer une cave dans laquelle nous pourrions par exemple mettre des bouteilles de vins rouge, lesquelles pourraient permettre l’ivresse de se prendre pour des danseurs.
La danseuse semble cloisonnée par les décisions architecturales de l’architecte. L’architecte quant à lui, ne semble pas du tout prendre en compte les mouvements de la danseuse.

 

Il semblerait que l’exercice ne semble pas si rigide que l’on pourrait le penser, car on voit que la danseuse semble franchir une ligne. Auparavant on aurait pu croire que c’était un mur et qu’elle ne pourrait pas l’enjamber. L’exercice semble ouvert.
 

L’état des lieux numéro 1 me regarde et je regarde l’état des lieux numéro 1. Il compte ses doigts.


La danseuse semble manipuler quelque chose avec sa main gauche. L’état des lieux numéro 1 vient de faire rentrer dans l’équation un nouvel objet. Une chaise.

Il est facile de penser qu’à un moment donné, la danseuse pourrait bien tourner autour de la chaise, peut-être monter dessus, peut-être rouler dessous ou peut-être tout simplement danser avec. Il semblerait que la conception du vertical pour l’état des lieux numéro 1 soit un problème de manutention du barnier. La danseuse s’offre au mur une fois de plus.
Tiens. La chaise bouge.


Serait-elle un personnage de la pièce? À bien regarder elle est tout à fait similaire à la chaise sur laquelle je suis assis.
La metteuse en scène parle.
La metteuse en scène a bafoué la terre sacrée du plateau.
La metteuse en scène propose une idée que certains esprits étriqués appelleront une insulte, au grand art qu’est le théâtre.
Oh.


Tentative dramaturgique.


Un nouvel objet pivot est inséré sur le plateau.


(Un chewing-gum tombe sur scène. L’état des lieux numéro 1 prend le chewing- gum, et le partage avec la danseuse.)


Il semblerait qu’une aide extérieure se soit immiscée, pour apporter une tension aux personnages.
L’état des lieux numéro 1 semble vouloir me faire goûter au pouvoir. Mais il préfère jouir de son pouvoir, pour humilier l’homme qui nomme ces choses. Donc moi-même.

L’odeur de la menthe commence à être présente.


L’état des lieux numéro 1:


L’état des lieux numéro 2 est isolé. Il n’a pas de chewing-gum.

 


L’état des lieux numéro 2:
Il est facile de constater que l’état des lieux numéro 1 a décidé de reprendre le rôle de l’état des lieux.
Cela n’explique pas pourquoi le deuxième état des lieux n’a pas le droit de mâcher un chewing-gum.
Comme tout le monde.


L’état des lieux numéro 1:
Je mâche exactement le même chewing-gum que dans la bouche de la danseuse.


L’état des lieux numéro 2:
L’état des lieux numéro 1, anciennement architecte et précédemment touriste, semble avoir une griffe contre le deuxième état des lieux, certainement car le deuxième état des lieux fut sauvé.


L’état des lieux numéro 1:
Le deuxième état des lieux est paranoïaque.


L’état des lieux numéro 2:
La danseuse sent la menthe.
La danseuse tourne autour de sa bouche. L’odeur de menthe qui provient de la bouche de la danseuse est plus agréable que l’odeur de menthe qui provient du premier état des lieux.


L’état des lieux numéro 1:
L’état des lieux numéro 2 n’est plus impartial e
t accumule de la frustration, il n’est plus en mesure d’être un état des lieux.
L’état des lieux est une fonction neutre : il constate et ne discute pas.

L’état des lieux numéro 2:
La danseuse colle un chewing-gum dans les cheveux du deuxième état des lieux.


L’état des lieux numéro 1:
La danseuse n’a pas d’ordres à recevoir.
Le propre de la danse est de libérer son corps.


L’état des lieux numéro 2:
D’ici quelques minutes, l’état des lieux numéro 2 deviendra un homme lambda ainsi que le premier état des lieux, ainsi ils pourront à la sortie du théâtre régler leurs différents, à 20 heures.
Sans armes.

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Les mesures s’accumulent. Le monde est déboussolé. L’amplitude de nos gestes se resserre dans le gosier. On continue, au travers de nos corps: les métiers, surtout.
Travailler sur cet étouffement : c’est ce qui m’intéresse réellement au travers de ce nouveau projet. Observer, et proposer une partition à la fois absurde et cruelle d’un monde qui part en doute. D’un monde en proie à la déresponsabilisation croissante que l’on subit tous à travers des fonctions démultipliées.

Il s’agit d’élaborer chorégraphiquement un monde englué dans sa propre dramaturgie mise en place.

Cette pièce est écrite pour un plateau nu. Un premier personnage, l’État des lieux, est chargé de faire état du spectacle en décrivant tout ce qui se passe sur scène. Trois autres personnes s’incarnent sur la scène en une dizaine de personnages, tous en possession de gestes identitaires distincts.  L’état des lieux  visite en permanence l’espace et décrit ce qu’il voit sur la scène. Il présente ainsi de manière formelle les différentes incarnations des acteurs: une danseuse classique, une psychologue, un architecte, un expert, un poète, une addiction, une femme de ménage, un touriste, le Nombre, et Sauvé.

Les personnages se croisent, s’incarnent, se désincarnent, en créant parfois des paradoxes gestuels au travers des enchaînements. De là, ce rapport se met formellement en place au sein même de la structure narrative, resserrant le temps et l’espace en développant une urgence.  Plusieurs paradoxes s’imbriquent entre leur univers, laissant  la place à une déresponsabilisation collective -  la répartition des responsabilités de chacun dans un système-. Les gestes se concentrent en grande partie sur l’organe du doigt.



 

Les personnages auront une partition en suivant des règles très précises: des règles algorithmiques qui généreront plusieurs probabilités de relations, en fonction de la dégénérescence des situations. Le plateau sera tout d’abord complètement nu, puis sera quadrillé au fur et à mesure des normes, installées sur le sol, créant ainsi plusieurs balises et activant les personnages en fonction de la circulation des autres personnages au plateau. Chaque personnage a son enjeu, créant ainsi des zones de conflits entre les personnages eux-même quand ils se croisent. Ces balises influenceront aussi énormément le rythme de la performance, car les acteurs choisissent d’interchanger les rôles des autres acteurs en fonction de leur situation, créant ainsi parfois des modifications soudaines et répétitives en fonction de leurs conflits. La parole est très importante au plateau, car elle décrit ce qu’il se passe, sauf lorsque l’on impose à l’état des lieux de se taire. Il fait donc état des lieux de tout, que ce soit les gestes, l’espace, les paroles des autres ainsi que le public. Cela crée ainsi des mises en abîme et des échos, laissant la place à de multiples réinterprétations de paroles. La visée de ce projet est à la fois de pousser les enjeux des uns sur les autres, tout en s’attachant aux hasards des combinaisons. Il  va de soi que l’équilibre pour la tenue de ce spectacle est d’activer les autres, quitte à ce que cela crée des conflits. Chaque acteur est un appui pour les autres. Ils permettent ainsi, en générant leurs conflits de rester en vie sur le plateau. Garde à vue qu’il te montre, c’est réfléchir aux paradoxes de la langue mais aussi des corps, en partie les corps de métiers comprimés dans leurs gestes, dans leurs habitudes et leurs conséquences. Le texte est en partie écrit, mais il s’agit surtout de créer un squelette solide au travers du processus pour garder une liberté de recherche au plateau.

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